Question :
Honorable Cheikh, pourriez-vous nous commenter le hadith de ‘Aicha (qu’Allah l’agrée) qui dit : « J’ai dit : « Ô Messager d’Allah, si je sais quelle sera la nuit d’Al-Qadr que devrais-je dire lors de cette nuit ? » Il me répondit : « Tu n’auras qu’à dire : « Ô Seigneur, Tu es en vérité Celui qui pardonne et Tu aimes le pardon alors pardonne- moi » » (Allahumma innaka ‘afuwwun tuhibbu l-‘afwa fa’fu ‘annî) ?
Réponse :
Ce récit est rapporté par l’imam Ahmed et les auteurs des sunan à l'exception d’Abû Dâwûd. At-Tirmidhî a rapporté ce hadith par l’intermédiaire de Ja’far Ibn Sulaymân Ad-Daba’î selon Kahmas Ibn Al Hasan d’après ‘AbduAllah Ibn Burayda qui le tient de ‘Aicha. Ibn Majah, quant à lui, l’a rapporté par l’intermédiaire de Wakî’ selon Kahmas Ibn Al Hasan. At-Tirmidhî (qu’Allah lui fasse miséricorde) l’a authentifié mais ce hadith est toutefois contesté sachant que d’après An Nasâ²î et Ad-Dâraqatni, ‘AbdAllah n’a rien pu transmettre de ‘Aicha.
L’imam Ahmed et An-Nasâ²i l’ont rapporté dans le chapitre « ‘Amal al yawm wa layl » (« Les oeuvres de la journée et de la nuit »), At Tabarânî l'a cité dans son ouvrage: « Invocations » et Al Hâkim dans Al Mustadrak, tous par le biais de Sufyân d’après ‘Alqama Ibn Marthad selon Sulaymân Ibn Burayda qui rapporte ce que ‘Aicha a dit.
An-Nasâ²î a notamment fait mention dans « ‘Amal al yawm wa layl » de la divergence d’opinion entre les spécialistes concernant l’authentification de ce récit. Al Hâkim l’a authentifié dans Al Mustadrak en déclarant qu’il répondait aux conditions d’authenticité des deux cheikhs; mais ils (Al Bukhârî et Muslim) ne l’ont pourtant pas mentionné dans leurs recueils authentiques. L’imam Adh-Dhahabî quant à lui n’a pas exprimé d’opinion à ce sujet.
Ce hadith est donc contesté et ne répond pas aux conditions des deux cheikhs. Il existe de nombreuses divergences d'opinions concernant son authenticité, à commencer par le fait que ce hadith est parvenu par l'intermédiaire de ‘AbduAllah Ibn Burayda, or celui-ci n'a pas pu transmettre de récits d'après Aicha.
Concernant les propos de ‘Aicha : « si je sais quelle nuit sera la nuit d’Al-Qadr » : ils reflètent la profonde préoccupation des Compagnons (qu’Allah les agrée) et particulièrement celle de ‘Aicha (qu’Allah l’agrée) dans la mesure où elle questionnait [le Messager d’Allah] au sujet de l’invocation qu’elle pourrait formuler au cours de la nuit du Destin. Pourtant, ‘Aicha (qu’Allah l’agrée) était versée dans la science et savait à quel point il était institué d'invoquer durant cette nuit. Elle a en effet mémorisé de nombreuses invocations, tout cela est bien connu. Néanmoins elle souhaitait connaitre une invocation qu’elle puisse formuler au cours de la nuit du Destin et qui lui soit profitable à la fois dans ce bas monde et dans l’au-delà. Ainsi, le Prophète (salla Allahu ‘aleyhi wa sallam) lui enseigna ce dont elle tira profit.
D’autre part, ce hadith, s’il s’avère authentique, est une réfutation claire face aux allégations de ceux qui prétendent que la Nuit du Destin ne se produit plus à notre époque [1]. Si la Nuit du Destin n’avait plus lieu [à chaque Ramadan], le Prophète (salla Allahu ‘aleyhi wa sallam) aurait répondu à ‘Aicha qu’elle n’avait pas besoin de connaître une telle invocation étant donné que la Nuit du Destin ne se reproduit plus. En effet, [un principe fondamental de la jurisprudence stipule qu’] il n’est pas permis de retarder l’explication d’une disposition quand le besoin s'en fait ressentir. C’est pourquoi nous devons suivre la majorité des Compagnons et les plus éminents jurisconsultes de la génération ayant succédé aux Compagnons (tâbi’în), et considérer que la Nuit du Destin continue de se survenir lors de chaque Ramadan et plus précisément au cours des dix dernières nuits, et parmi ces dix dernières nuits elle est encore plus à rechercher lors de la 27ème nuit [2].
Ainsi, lorsqu’elle dit : « que devrais-je dire ? », elle souhaitait donc obtenir une invocation globale car elle connaissait évidemment plusieurs formules d'invocations.
Aussi, sachez qu’il n’y a pas d’invocation spécifique à formuler au cours de la nuit du Destin. Le musulman invoque en fonction de sa situation. Toutefois, la meilleure des invocations au cours de la Nuit du Destin est celle reprenant l'ensemble des invocations du Prophète (salla Allahu ‘aleyhi wa sallam) qu’il mentionnait dans de nombreuses situation en général ou lors de situations particulières.
Il ressort de ce hadith que le fait d'invoquer [avec ferveur] durant la Nuit du Destin était une pratique bien connue des Compagnons (qu’Allah les agrée).
En effet, Al Bukhârî et Muslim ont cité dans leurs recueils authentiques un hadith rapporté par Az-Zuhrî d’après Abû Salma Ibn ‘Abdarrahmân selon Abû Hurayra qui relate que le Prophète (salla Allahu ‘aleyhi wa sallam) a dit : « Quiconque passe la Nuit du destin en prière avec foi et en espérant Sa récompense, se verra pardonner ses péchés antérieurs ». Et l’expression « passe la Nuit du destin en prière » signifie prier et invoquer Allah. Ce qui prouve qu’il est tout à fait légal d’effectuer de nombreuses invocations durant la Nuit du Destin.
La parole : « Tu n’auras qu’à dire : « Ô Seigneur, Tu es en vérité Celui qui pardonne » » confirme le fait qu’Al ‘Afwa (l’Indulgence) est un attribut d’Allah - Gloire et Pureté à Lui-même - et la parole : « et Tu aimes le pardon » atteste qu’Allah aime. De plus, le Très Haut dit dans le Coran : {Dis : "Si vous aimez vraiment Allah, suivez-moi, Allah vous aimera alors} [3] et aussi {qu'Il aime et qui L'aime} [4].
Les gens de la Sunna et du Consensus attestent aussi qu’Al ‘Afwa (l’Indulgence) et le fait qu’Il fasse preuve d'amour (al mahabba liLlah) sont des Attributs d’Allah le Très Haut qui Lui reviennent, et ce, sans les assimiler aux attributs des êtres humains (tamthîl) et sans aucune négation de Ses attributs (ta’tîl). Ainsi, ils attestent de l’existence de ces Attributs sans altération (tahrîf), sans s’interroger sur le comment (takyîf), sans assimilation (tamthîl) et sans négation (ta’tîl) et ont pour conviction qu’il n’y a rien qui Lui ressemble, et c'est Lui l'Audient (As-Samî’), le Clairvoyant (Al Basîr). [5]
Quant à sa parole : « alors pardonne-moi », elle renferme la preuve qu’il est recommandé à celui qui invoque, d'implorer Allah en mentionnant les Attributs appropriés à l'objet de sa requête. Ainsi, s’il souhaite obtenir l’absolution d’Allah (Al maghfira) qu’il dise : « yâ Ghafûr, aghfir lî » (Ô l’Absoluteur, absous-moi) ou bien : « yâ ‘Afuwwu, a’fû ‘anî » (Ô Celui qui pardonne, pardonne-moi) etc. On retrouve notamment des passages instructifs dans Jalâ Al Afhâm fi s-Salâti ‘alâ khayri l-Anâm d’Ibn Al Qayyim qui est une référence sur le sujet.
Cheikh Sulaymân Ibn Nâsir al’Ulwân
Source : « Charh Bulûgh al Marâm min Adillâti al Ahkâm », chapitre du jeûne, hadith 658.
Traduction : umhamza
Relecture et correction : Oum Mou’âwiya
[1] NDT : ‘Abdarrazaq relate dans son Musannaf au chapitre intitulé « laylatu l-qadr », hadith 7707 que Ibn Jarîj rapporte d’après Dâwud Ibn Abu ‘Âsim selon ‘AbdAllah Ibn Yahnas qui a interrogé Abu Hurayra comme suit : « Certains prétendent que la Nuit du Destin ne se produit plus ». Abu Hurayra répondit : « Celui qui affirme cela a menti ». Je lui demandai : « Sera-t-elle accueillie à chaque Ramadan ? ». Ce à quoi il répondit : « Oui, en effet » ».
[2] NDT : Le cheikh explique dans le charh du hadith précédant (n°657) " On rapporte de Mu’âwiya Ibn Abû Sufyân (qu’Allah les agrée) que le Prophète (salla Allahu ‘aleyhi wa sallam) avait dit à propos de Laylatu l-qadr : « C’est la nuit du vingt-sept »" qu’il existe une divergence au sein des érudits par rapport à la détermination de la Nuit du Destin, est-ce que celle-ci se répète tout les ans la 27ème nuit ou change-t-elle de jour chaque année à savoir une année la 25ème, une autre année la 29ème etc. Un groupe d’hommes de science estime qu’elle est fixe tandis qu’un autre groupe soutient qu’elle change chaque année. Le cheikh considère que ce deuxième avis semble corroborer le mieux les sources scripturaires (dalil) rapportées à ce sujet. Toujours est- il qu’il convient au serviteur de redoubler d’effort durant les dix dernières nuits et de rechercher Laylatu l-qadr en multipliant les invocations et les actes d’adorations car le Prophète (salla Allahu ‘aleyhi wa sallam) a dit : " Quiconque passe la Nuit du destin en prière avec foi et en espérant Sa récompense, se verra pardonner ses péchés antérieurs"
[3] NDT: Sourate Âli ‘Imrân ; v.31
[4] NDT : Sourate Al Maïda ; v.54
[5] NDT : L’Imam At-Tirmidhi a dit : « Il a été rapporté par plus d’une personne de science à propos de ces hadiths, qu’il n’y a pas d’assimilation (Tachbih) des attributs d’Allah à ceux de la Création et notre Seigneur, le Puissant et Majestueux, descend au ciel le plus bas chaque nuit. Ils dirent : « Affirmez ces narrations, ayez foi en elles, ne les reniez pas et ne demandez pas : « Comment ». C’est ce qu’ont dit Mâlik ibn Anas, Sufiân Ath-Thawrî, Ibn U’yayna et ‘Abdullah ibn Al-Mubârak, qui ont tous dit à propos de ces hadiths : « laissez-les comme ils sont sans demander "Comment ?" », telle est l’affirmation des gens de science chez les Ahlu s-Sunna wa l-Jamâ’a. Cependant les Jahmiya s’opposent à ces narrations et disent : « C’est du Tachbih (anthropomorphisme) ». Or Allah ‘Azza wa Jall a mentionné à divers endroits dans son Livre les Attributs de la Main (Al Yad), l’Ouïe (As-Sam’), la Vue (Al Bassar), mais les Jahmiya font du Ta²wîl (interpolation) de ces versets, en les expliquant d’une manière différente de celle des gens de science. Ils disent : « Oui, Allah n’a pas créé Adam avec Ses Mains » et que la main signifie le pouvoir d’Allah ». [" Sunan At-Tirmidhi " 3/42]
